Les destructions coronaires importantes nécessitent la réalisation d’une reconstitution corono-radiculaire (RCR) intéressant la partie coronaire et le canal dentaire. Pour assurer sa rétention, il est généralement fait appel à des ancrages radiculaires. Si la fonction d’une reconstitution dentaire corono-radiculaire consiste à restaurer la perte de substance pour assurer la rétention d’un élément prothétique, elle doit en même temps préserver les tissus dentaires résiduels et assurer l’étanchéité de l’obturation canalaire. Elle ne devrait pas devenir une cause supplémentaire de fragilisation des structures résiduelles en transmettant des contraintes supplémentaires aux tissus coronaires et radiculaires.

Un consensus bien établi

On distingue deux grandes familles de reconstitutions dentaires corono-dentaires :
• les RCR directes utilisant des matériaux insérés en phase plastique (RMIPP) le plus souvent en composite ; (Fig.1 – c) à particules, soutenues ou non par un tuteur central ; (Fig.1 – t). Il s’agit le plus souvent d’un tenon fibre-résine normalisé et rigide.
• les RCR indirectes réalisées au laboratoire de prothèse. Elles sont le plus souvent constituées de métaux ; (Fig.1 – m) ou en équivalent minéral. L’ancrage radiculaire est lui aussi constitué d’un tenon préfabriqué et rigide. Plusieurs ancrages peuvent être utilisés pour claveter la partie coronaire, et dans ce cas, le core est percé d’un canal de gravure ; (Fig.1 – g). L’ensemble est scellé sur la racine.

Dans les deux cas, le canal subit une mise en forme homothétique de la forme du tenon préfabriqué.

Le choix entre l’une ou l’autre de ces deux solutions thérapeutiques est le plus souvent basé sur le critère du nombre de parois restantes et la quantité de substance coronaire résiduelle après préparation périphérique ainsi que la capacité d’isolation des fluides buccaux. Cependant, des situations intermédiaires peuvent permettre de réaliser une restauration prothétique étanche et rétentive bien intégrée dans le contexte occluso-parodonto-prothétique.

• Un traitement alternatif moins invasif, l’endocouronne, a été décrit dès 1989 par Patrick Pissis. Il permet de s’affranchir de tout ancrage canalaire dès lors qu’il est possible de coller la couronne prothétique sur de larges margelles ; (Fig.1 – ma) et dans la cavité pulpaire ; (Fig.1 – p).

1 La fragilisation de la dent est liée à la perte des renforts architecturaux liée au délabrement pathologique ou thérapeutique.
• Les manœuvres instrumentales d’endo- dontie n’ont qu’une faible incidence sur le comportement biomécanique de la dent car la quantité de tissus perdue reste faible (Trope et coll, 1985 (174)).
• La fragilisation est surtout liée à la perte de substance, dans laquelle les crêtes marginales assurent un rôle essentiel
• La préparation canalaire par forage de l’ancrage canalaire induit une perte de substance, et un affaiblis- sement de la racine. Si la perte de substance ne peut que se constater, comment ne pas fragiliser en- core plus les structures résiduelles obli- gatoirement diminuées par le traite- ment endodontique ?

LA RÉPONSE DES RHÔNALPINS (J. BARDE ET D. BOIS (1985) B. DURET, M. REYNAUD)
Elle a consisté à effacer le composant « matériau » et le haut différentiel de rigidité entre la dentine, l’ancrage et le composite de reconstitution. Et donc de remplacer les ancrages rigides métalliques de haut module d’élasticité (120 Gpa) et quelquefois leurs arêtes vives par des ancrages en composite fibré de module proche de celui de la dentine (± 18 Gpa).

2 Les RMIPP à micro-tenons fasciculés
L’utilisation de micro-tenons de Ø 0,3 mm en ancrage radiculaire des RMIPP en lieu et place des tenons normalisés du commerce à forme prédéfinie aétéproposée.
Cette application est née du constat qu’en matière de matériaux composites à renforts fibrés, c’est l’architecture et la répartition du réseau fibré qui créent la résistance, en particulier dans la zone du collet de la dent. Il est donc recherché une nouvelle organisation spatiale de renforts dans un plus important volume de composite qui autorise :

• de renforcer en continu la totalité de la RCR ; (Fig.2 et 3),
• d’organiser les micro-tenons en périphérie canalaire, lieu des plus fortes contraintes,
• l’introduction au centre du canal (fibre neutre) d’un micro-tenon en matériau tendre (PEEK) (POM) autorisant le réaccès canalaire,
• d’éviter la mise en forme et le forage extensif du canal à une forme prédéfinie et donc de fragiliser encore plus la racine dentaire,
• flexibles, les micro-tenons permettent d’épouser toute courbure et anatomie canalaire, canaux ovales, circulaires…

3 Considérations sur la perte d’une RMIPP à ancrage central
Lorsque les conditions de succès d’une RMIPP ne sont pas remplies, les évè- nements suivants vont se succéder : mobilité de la couronne sus-jacente, puis perte de la couronne ; (Fig.4). On constate une contre-indication aux RMIPP (pas de margelle périphérique) :
• un tenon central flottant (t),
• dans une grande masse de composite non fibré (c),
• une zone de fracture caractéristique d’un délaminage du tenon (d),

On peut en déduire les phases de progression de l’évènement :
• 1 – fissuration en fatigue du composite de reconstitution non renforcé par des fibres,
• 2 – fracture du composite et du joint de colle : le tenon fibré résiste mais se délamine progressivement : les fibres cassent successivement et la mobilité s’accentue,
• 3 – fracture terminale et perte de l’élément prothétique.
Reste alors le pénible exercice d’extrac- tion du tenon cassé.

4 Conséquences
Le concept des micro-tenons apporte une réponse partielle en permettant de renforcer une plus grande partie du composite coronaire, mais ce renfort est limité par le cône canalaire ; (Fig.5).

5 Une alternative innovante : le concept Biolight Plus hybride ; (Fig.6, 7)
Un endo-core en matériau compact et un ancrage micro-invasif de type à micro-tenons sont solidement associés dans une même structure. L’endo-core est composé de deux parties distinctes :
• le boîtier pulpaire avec un rôle ’emboîtement et de stabilisation primaire,
• la partie coronaire qui recevra le dispositif prothétique.

On peut considérer qu’il s’agit d’une endo-couronne à ancrage canalaire mini invasif. Le concept bénéficie des avantages de deux matériaux très dif- férents physiquement et chimiquement ; (Fig.8).

6 Justification théorique
Du fait de la conicité de l’ouverture canalaire, le matériau utilisé pour le core des RMIPP traditionnelles (composite) ne peut pas s’opposer aux micro-fissures générées par les contraintes fonctionnelles alternées, notamment dans les zones les plus sollicitées, les margelles périphériques. Les micro-posts ne remplissent que partiellement cet objectif. D’autre part, un ancrage canalaire peu invasif et moins intrusif semble préférable pour préserver la racine d’une fracture dramatique pour la conservation de la dent. L’association d’un matériau compact pour le core et la cavité pulpaire et d’ancrages multi-canalaires à tenons fasciculés, associés dans un même système (adhésif/colle composite), présente donc de nombreux avantages, au regard des défauts des reconstitutions corono-radiculaires traditionnelles.
• Le matériau compact en forte épaisseur (céramique monolithique, zircone, céramique hybride de type Enamic, blocs composites fibrés) est peu sujet aux départs de fissures, Le core est percé de canaux de gravure débouchant sur chaque entrée canalaire.
• Lors du collage, les tenons fasciculés sont introduits dans les canaux destinés aux ancrages ; (Fig.9).
• Lors de la prise d’empreinte (caméra optique ou empreinte conventionnelle), les canaux ne sont pas désobturés, mais simplement marqués : ainsi, ce n’est que lors du collage qu’ils vont être désobturés partiellement, protégeant la dent d’une éventuelle infection secondaire dans l’intervalle
de fabrication.
• Le concept semble plus indiqué pour les multi-radiculées, avec une pénétration moins apicale, mais une longueur d’ancrage cumulée finalement plus importante. Il reste néanmoins applicable aux monoradiculées dès
lors qu’il est possible de réaliser un boîtier caméral ; (Fig.10).

7 Le lien entre les techniques traditionnelles et le monde du CAD-CAM
Le core est fabriqué en CAD-CAM à partir d’une empreinte conventionnelle scannée au laboratoire ou d’une empreinte optique au fauteuil ; (Fig.11).

8 Justification théorique (Raphael Richert)
Les études mathématiques en éléments finis permettent d’évaluer le comporte- ment comparatif sous contrainte des différentes solutions pour les recons- titutions corono-radiculaires ; (Fig.12).
• La reconstitution par tenon fibré unique est classiquement déconseillée en cas d’absence de sertissage ; (Fig.12 – réf. 1). En effet, la présence de contraintes de flexion importantes au niveau cervical fait courir le risque du décollement et de la fracture de la reconstitution corono-radiculaire fibrée.
• Pour autant, en cas d’utilisation d’un tenon métallique, la contrainte se transmet au niveau de celui-ci, faisant courir le risque de fracture de la racine en cas de forces extrêmes ; (Fig.12 – réf. 2).
• La dent reconstituée au moyen de micro-tenons présente les plus faibles valeurs de contraintes sous une force de flexion. Ce type de reconstitution permet également une distribution de contrainte plus favorable sans transmission importante à la racine. Ainsi, avec ou sans sertissage, la reconstitution par multi-tenon fibré peut être préférée à l’inlay-core métal dans la mesure où elle ne transmet pas de contrainte à la racine et renforce les zones de collage périphérique ; (Fig.12 – réf. 3).
• L’insertion d’un tenon plus tendre (gutta) au centre du bouquet de micro-tenons ne fragilise pas la reconstitution ni la dent mais permet un réaccès en cas d’infection.
• Le nombre de micro-tenons doit être adapté à la taille du canal : il n’y a aucun intérêt mécanique à évaser le canal fortement pour insérer un nombre de micro-tenons supérieur à celui que la situation physiologique du canal permet après traitement endodontique et dépose de la gutta dans sa partie coronaire.
• Les micro-tenons doivent être prioritaire ment dispensés dans les zones périphériques du canal correspondant aux zones de plus forte contrainte.

L’INLAY-CORE HYBRIDE
L’utilisation d’un core en matériau compact de module d’élasticité élevé comme la zircone permet de réduire l’intensité des contraintes importantes cervicales. La technique hybride permet de répondre à cet objectif tout en évitant la transmission de contraintes au sein de la racine du fait des micro-tenons de faible module d’élasticité ; (Fig.13).

9 Indications des inlay-core hybrides
Ce sont celles généralement reconnues pour les inlay-core. Un emboîtement pulpaire ou en entrée canalaire est requis, permettant de positionner précisément le core en matériau compact. Le cas de cette patiente ; (Fig.14) qui refuse l’extraction et les implants suggère que l’absence de transmission de contraintes dans les canaux et donc leur non-implication dans une éventuelle fracture offre une solution thérapeutique conservatrice. L’ancrage du core concerne trois canaux divergents pour une longueur cumulée supérieure, avec une incidence limitée sur une éventuelle fracture ; (Fig.15).

ET LA NOUVELLE CCAM LÀ-DEDANS ?
Divers types de couronnes (du métal aux équivalents minéraux) sont maintenant nomenclaturés en fonction de la situation de la dent sur l’arcade. La nature du matériau de l’inlay-core semble laissé au choix du praticien traitant. Il semble alors logique que l’inlay-core soit fabriqué dans un matériau compatible avec celui de la couronne. Le concept Biolight Plus hybride autorise même la fabrication d’une reconstitution constituée d’un endo-core métallique ancré sur les racines au moyen de tenons fasciculés, et sa facturation au titre de la CCAM, li- mitée « à la partie métallique coulée », semble remplir les critères CCAM 2019 ; (Fig.16, 17, 18).

Conclusion

La recherche du matériau idéal pour les différents concepts de reconstitutions corono-radiculaires ne peut pas résoudre l’équation complexe posée par le contexte anatomo-fonctionnel bucco-dentaire. L’adaptation et la résistance du dispositif médical sont déter- minées par sa structure. Les adhésifs et colles composites modernes permettent d’associer dans un même dispositif des sous-ensembles mécaniquement et chimiquement différents. Les technologies CAD-CAM permettent de concevoir et d’exécuter des pièces prothétiques en matériau compact particulièrement précises. L’ancrage non-invasif produit par les micro-tenons fibrés en lieu et place des tenons traditionnels offre, par sa souplesse d’utilisation, une solution de rétention simple et non invasive.