Hygiène des mains, distanciation sociale, port du masque ne sont que quelques-unes des nouvelles normes pour une vie en société. Au-delà de l’aspect normatif, le non-respect de ces règles entraîne un risque pour sa propre santé et celle de ses proches. À tel point que le Covid-19 est devenu plus qu’une menace mais un danger mortel (réf.1). Il faut rappeler l’émergence précédente d’autres risques médicaux de dommage corporel à grande échelle. Notons par exemple l’affaire du sang contaminé, le VIH ou encore le Prion. À chaque fois le comportement humain a été à l’origine d’une crise sanitaire avec pour vecteur un micro-organisme.

De nouvelles normes

Des mesures de prévention ont alors été prises et ont abouti à de nouvelles normes de travail : décontamination et stérilisation des produits de santé (autoclave classe B), port de protections individuelles pour les professionnels de santé (gants, masque, blouse, surblouse…). Ces nouvelles règles ont nécessité l’acceptation du changement par les professionnels de santé. Malheureusement, elles ne sont pas respectées par tous, au détriment de la santé de quelques-uns. Le parallèle avec le Covid-19 est aisé à faire : un risque émergent, des mesures de précaution et une subordination aléatoire.

Le risque des contaminations croisées

Le risque sanitaire associé est d’autant préoccupant qu’il peut survenir dans un environnement de soin. Un patient sain peut subir une contamination croisée dans un cabinet dentaire. Plus nuisible encore, le professionnel de santé peut être contaminé par son patient. Plus préjudiciable encore, le professionnel de santé contaminé peut atteindre un patient sain. Cette situation est d’autant plus inquiétante que l’issue du Covid-19 peut être fatale. Les différents comités d’experts, en conjonction avec les organisations sanitaires et les instances ordinales, ont établi des recommandations pour la majorité des professions médicales et paramédicales. Cependant, le risque est variable selon la spécialité, plusieurs critères entrent en jeu pour définir l’importance du risque : proximité avec le patient, exposition aux projections bucconasales, actes invasifs… Et les professions dentaires (dentiste, assistante dentaire, hygiéniste dentaire) apparaissent comme étant en première ligne (réf.2).

Dans nos cabinets

L’exercice de la dentisterie implique une proximité avec le patient, une...

exposition aux projections bucconasales et une aérosolisation des fluides buccaux par l’arsenal thérapeutique dentaire. Il a été démontré que les projections dans une salle de soin dentaire peuvent rester en suspension dans l’air et atteindre jusqu’à 1,5 mètre (réf. 3). Cette situation est d’autant plus préoccupante dans le contexte de pandémie au Covid-19. Un patient contaminé (ignorant ou non son statut) peut donc contaminer : l’équipe dentaire, la salle de soin et le prochain patient prévu dans l’agenda. Ces conditions peuvent entraîner une infection associée aux soins et engager la responsabilité du professionnel de santé. D’un point de vue préventif, des recommandations ont été rédigées (réf.4) et diffusées aux professionnels de santé dentaire. Notons par exemple les équipements de protection individuelle, l’aération de la salle de soin, ou encore le port d’un masque FFP2 ou équivalent.

Ce que dit le droit

D’un point de vue médico-légal, si malgré ces précautions, un patient venait à être victime d’une infection associée aux soins et contracterait le Covid-19, la responsabilité médicale est engagée. Dans le cas d’un établissement de santé, il s’agit d’une responsabilité de plein droit sauf à rapporter la preuve d’une cause étrangère, ce qui est rare dans la jurisprudence. Pour un taux d’incapacité permanente inférieur ou égal à 25 %, l’assureur prendra en charge les dommages corporels. Si le taux est supérieur à 25 % ou en cas de décès, les indemnités sont prises en charge par l’ONIAM. En revanche, dans un cabinet privé et si le taux est inférieur ou égal à 25 %, la victime doit apporter la preuve de la faute du praticien. De plus, il faudra apprécier la plausibilité entre la prise en charge thérapeutique et l’infection associée aux soins. Pour chaque victime, une étude précise serait nécessaire pour déterminer l’origine de la contamination et l’imputabilité à la faute d’un tiers. En sachant que la victime, peut être le patient, le personnel dentaire ou encore le praticien. En cas de contamination par un vecteur comme le VIH ou le Prion, la preuve directe et exclusive de l’infection associée aux soins est difficile voire impossible à apporter.

Et pour le Covid-19 ?

Dans le cas du SARS-CoV-2, la preuve est encore plus complexe à apporter étant donné les caractéristiques de la maladie (délai d’incubation, mode de transmission, nombre de reproductions, existence de porteurs symptomatiques…). La simple présomption de responsabilité ne suffit pas pour obtenir une réparation du dommage corporel. À tout cela se surajoute les difficultés matérielles, notamment la réalisation du test diagnostique. En l’absence de dépistage immédiat, l’interprétation sera difficile pour confirmer ou dater une contamination lorsqu’elle est à distance des faits. Perspective Comme abordé dans la première partie de ce mémoire, la prévention a un rôle déterminant dans l’évitement du dommage corporel. Brièvement, nous proposerons trois mesures préventives.

Accepter le changement

Un groupe de travail constitué de professionnels de santé et de chercheurs a élaboré un ensemble de recommandations sous l’égide de l’Ordre des chirurgiens-dentistes (réf.4). Ces recommandations concernent aussi bien les praticiens et leur équipe que la prise en charge des patients, en passant par l’organisation des locaux et les protocoles de soins. Elles ne sont pas insurmontables en soi mais nécessite une acceptation au changement. Certains praticiens attendent avec impatience de pouvoir revenir à leurs anciennes habitudes. Ces derniers souhaitent s’affranchir de toutes ces règles sans réellement comprendre qu’il s’agit des normes de demain. De la même façon que le port de gants, masques et blouses s’est imposé il y a quelques décennies, le port de nouveaux équipements de protection individuelle s’imposera dans les années à venir.

Dépistage systématique et régulier de l’équipe dentaire

Depuis peu, le dépistage du SARS-CoV-2 est intégralement pris en charge pour les dentistes et les assistantes dentaires (réf.5). L’objectif est l’isolement du professionnel dentaire contaminé pour éviter une contamination croisée du patient ou du reste de l’équipe dentaire. Néanmoins, il existe des difficultés matérielles (production massive de tests) et financières (coût de la prise en charge des tests pour les organismes sociaux). D’autant plus qu’il sera difficile de déterminer une fréquence adéquate. Un praticien peut être dépisté à J0 puis être contaminé à J +1. Le dépistage lors de signes évocateurs parait être une évidence, mais il faut garder à l’esprit que certains porteurs du SARS-Cov-2 sont asymptomatiques et contaminants à la fois (réf. 6,7).

Dépistage systématique et régulier des patients

Il existe également des difficultés qui sont matérielles et financières. Mais il existe aussi des difficultés techniques (délai entre le prélèvement et le résultat), légales (le patient peut refuser d’effectuer le test) et éthiques (risque de refus de soin par discrimination sur le statut biologique du patient). Rappelons qu’un professionnel de santé refusant des soins à un patient atteint du Covid-19 s’expose à des sanctions déontologiques (réf. 8), civiles (réf. 9) et pénales. Rappelons également que les recommandations donnent les outils pour une prise en charge thérapeutique sûre des patients porteurs du SARS-CoV-2 (réf. 4). Ces mesures de prévention ont pour but de réduire le risque de dommage corporel sans donner de garantie absolue. De plus, elles ont l’inconvénient d’être difficiles à instaurer. Cependant, ce n’est qu’au prix d’efforts importants qu’un exercice médical exempt de faute peut être envisagé.

L’humanité a vu, voit et verra l’émergence de crises sanitaires à l’échelle mondiale. De la même façon que la maladie de la vache folle ou le SIDA ont drastiquement changé notre société, le Covid-19 a bouleversé notre quotidien professionnel et personnel.


Prospective

Pour les professionnels de santé, le SARS-CoV-2 représente une menace à l’origine de dommage corporel dont l’issue peut être le décès. Il ne serait pas surprenant de voir apparaître des demandes de réparation par des patients sains qui ont été contaminés dans une structure de soin. Pour les professionnels de santé dentaire, cette menace est plus forte étant donné les conditions d’exercice. Le risque de dommage corporel en chirurgie dentaire peut croître de concert avec les demandes de réparation. Toutefois, il sera ardu d’être en mesure d’apporter la preuve de l’imputabilité vu les caractéristiques épidémiologiques du Covid-19. Fort heureusement des solutions existent. Des recommandations de bonne pratique ont été conçues en tenant compte des dernières avancées et le dépistage tend à s’améliorer dans ses aspects techniques et financiers. La surveillance étroite de pathogènes comme le VIH ou le Prion a permis d’amoindrir le risque de dommage corporel sans le rendre nul, sachant que la production d’un vaccin est plus qu’incertaine. De même, il faudra une rigueur hors pair pour maîtriser le risque associé au SARS-CoV-2 dans l’attente d’un traitement efficace. Le chirurgien-dentiste doit rester vigilant pendant cette crise sanitaire liée au Covid-19. En cas de faute avérée ou supposée, il doit se tourner au plus tôt vers son assureur. Cet interlocuteur privilégié pourra l’accompagner dans les démarches nécessaires pourra éviter ou résoudre un conflit naissant. Il ne faut pas perdre à l’esprit que l’identification de la chaîne de transmission nécessite des moyens techniques et humains lourds. Un patient, propice ou non au contentieux, ne peut affirmer sans preuve objective une quelconque contamination au cabinet dentaire. Face aux patients douteux, garder son sang-froid demande des ressources humaines, alors que garder son masque demande du bon sens.



« J’ai équipé chacune de mes salles de soin d’un purificateur d’air 
à filtration Hyper-HEPA »

Dr Jean-Michel Bellaiche, stomatologue à l’Hôpital privé de Marne-la-Vallée (propos recueillis par François Gleize)

En septembre dernier, Serge Fournier, Président du Conseil de l’ordre des chirurgiens-dentistes déclarait dans les colonnes de Solutions Cabinet dentaire que le traitement de l’air était devenu la problématique « majeure » qui allait se poser aux praticiens dans les mois à venir – « le traitement des surfaces, la stérilisation et la protection individuelle » étant des questions « quasiment réglées ». Équipé de cinq purificateurs d’air, le stomatologue Jean-Michel Bellaiche, nous explique comment ces dispositifs s’insèrent dans son plan global de lutte contre le SARS-CoV-2.

Vous êtes-vous équipé spécifiquement pour lutter contre la Covid-19 ?

Oui, il n’y avait pas de système de filtration de l’air auparavant dans ma structure. J’ai profité du confinement pour étudier soigneusement ce qui était possible en la matière, et il faut bien dire que l’offre est pléthorique ! Le problème est que les filtres HEPA le plus souvent proposés sont insuffisants pour le SARS-CoV-2, dont le diamètre est inférieur à la puissance de filtrage. Rédhibitoire pour le professionnel de santé que je suis… Certaines publications alertent aussi sur le rôle de circulation du virus que pourrait entraîner une filtration inefficace. Cette démarche d’équipement oblige par conséquent à la plus grande vigilance sur les spécifications du matériel.

Pour quelle solution avez-vous opté ?

Il y a beaucoup de systèmes à filtration UV sur le marché actuellement, mais pour avoir une réelle efficacité il faut des lampes extrêmement puissantes et laisser agir pendant des heures, sinon c’est un gadget. Donc ce n’était pas une solution pour stériliser une structure comme la mienne. Je suis tombé sur une entreprise suisse qui propose une filtration Hyper-HEPA, c’est-à-dire dont la capacité de filtrage est de 0,003 micron, donc efficace sur la taille du virus responsable du Covid. Certains modèles sont aussi pourvus de « pièges » pour en augmenter l’action. J’ai acquis cinq de ces machines.

Quelle surface couvre vos cinq purificateurs ?

Nous avons équipé chacune de nos salles d’intervention. Une approche « fractionnée », il existe des dispositifs qui permettent de traiter des volumes d’air beaucoup plus important, mais je trouve que c’est plus facile d’en mettre un par salle. Dans les blocs opératoires, j’ai opté pour les machines les plus performantes « H13 », qui sont très avancées – grade médical + – avec systèmes de piégeage du virus. Dans les salles de prothèse dentaire se trouvent des appareils plus simples. Nous réfléchissons par ailleurs à aussi en disposer au secrétariat et en salle d’attente, en somme partout où l’on accueille du public.

Comment cette organisation s’inscrit-elle dans votre exercice, au quotidien ?

Quand on opère, on fait tourner la machine en mode normal, et entre chaque patient on passe en réglage très haut débit d’air pour un renouvellement complet avant le nouveau patient. De manière plus globale, tout cela est un élément de plus dans notre arsenal anticontamination. En tout cas, nous continuerons à filtrer en permanence même si le SARS-CoV2 devait disparaître un jour. Il restera tous les autres agents infectieux à purifier !

Ces appareils sont-ils visibles par les patients, est-ce un plus pour la communication ?

Assurément. Nous avons mentionné avoir investi dans les purificateurs sur notre site web, et les certificats de filtration sont affichés en salle d’attente. C’est très important car cela rassure les patients et aussi toute l’équipe. C’est une marque de considération envers nos salariés : nous nous soucions de leur sécurité.

Peut-on selon vous se passer de système de filtration désormais ?

Non, je pense que cela devrait même être obligatoire dans les professions où l’on travaille en bouche, à cause l’aérosolisation inévitable dans certains soins. Que l’air soit filtré, c’est la moindre des choses envers nos patients et notre personnel !


Bibliographie

1. www.theguardian.com/uk-news/2020/may/12/uk-rail-worker-dies-coronavirusspat- belly-mujinga
2. www.nytimes.com/interactive/2020/03/15/business/economy/coronavirus-workerrisk. html
3. Bacterial aerosols in dental practice – a potential hospital infection problem? www.bit.ly/3gvSBns
4. Recommandations d’experts pour la prise en charge des patients nécessitant des soins bucco-dentaires en période de déconfinement dans le cadre de l’épidémie de COVID-19 www.bit.ly/3j9I6IO
5. Arrêté du 25 juin 2020 www.bit.ly/2Nv9fHw
6. Covid-19 : le risque de transmission par des porteurs sains se confirme www.bit.ly/3japQhC7. Asymptomatically infected persons can transmit the virus as soon as 2 days after infection www.bit.ly/2FZwklp
8. Art. R 4127-7 du CSP
9. Art. L1110-3 du CSP 10. Art. 225-1 du Code Pénal

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