Être acteur du changement
Les soins dentaires sont consommateurs d’énergie, producteurs de déchets, utilisent matériels et matériaux… Cela n’est pas sans conséquences sur «la santé des écosystèmes et des personnes : praticiens, équipe dentaire, patients», avertit le Dr Nathalie Ferrand, de la commission écoresponsabilité du syndicat des femmes chirurgiens-dentistes (SFCD). Il ne s’agit pas ici de faire une séance collective d’auto-flagellation, mais de convaincre chacun de s’attaquer au problème. Si, dans l’idée, vous y êtes favorables [1] , le passage à l’acte est plus compliqué, car vécu comme une contrainte supplémentaire. «Au départ, cela demande un investissement, au moins en temps. Mais c’est entrer dans une démarche vertueuse dont vous ne tirerez que du profit à terme, rassure le Dr Alice Baras. Et ce n’est pas parce qu’on ne peut pas tout faire qu’on ne peut rien faire !», motive celle qui conseille et forme les professionnels de santé à la santé environnementale et au développement durable.

Miser sur la prévention
Mettez la prévention primaire et secondaire au coeur de votre exercice. En soi, «c’est la seule chose...

qu’il faille faire !», s’exclame le Dr Dominique Chave, présidente de la commission de la vigilance et des thérapeutiques à l’Oncd. «Primum non nocere, deinde curare. D’abord ne pas nuire, ensuite soigner», abonde Alice Baras. De fait, «le matériau dentaire le plus respectueux de la dent reste la dent elle-même : alors autant la préserver», rappellent les auteurs du livre Le cabinet dentaire du XXIe siècle : introduction à l’écoresponsabilité par la conception éthique (Un Autre Reg’Art, 2015), parmi lesquels le Dr Ferrand. Certes, miser sur la prévention n’est pas chose aisée dans le contexte actuel, où le curatif l’emporte sur le préventif, et où la prévention paraît peu rémunératrice. Néanmoins, il existe des solutions [2] pour assurer cette mission tout en s’y retrouvant, notamment économiquement.

Questionner ses achats
Vous passer de dispositifs médicaux et biomatériaux ?
Impossible. «Un dentiste à mains nues, ça n’existe pas!», résume le Dr Ferrand. Mais rien ne vous empêche de questionner vos achats : quelle est la composition – la difficulté étant néanmoins que « les fiches de données de sécurité ne livrent pas la composition exhaustive», déplore la praticienne
– ? Est-ce toxique ? Est-ce réparable ? Puis-je trouver moins énergivore? Puis-je substituer le stérilisable à l’usage unique, utilisé de façon exponentielle ? Si j’ai recours à ce dernier, comment réduire les emballages ? Tel produit me permettra-t-il de mieux soigner?, etc.
Interrogez-vous sur vos besoins réels, étudiez les alternatives, revisitez des choix thérapeutiques. Et associez vos fournisseurs à cette démarche, en
fédérant vos demandes. Cela engagera la filière à poursuivre sa réflexion écoresponsable. Tout le monde sera gagnant, notamment économiquement. Les industriels pourront saisir les opportunités liées au déplacement de marché. Vous, vous réaliserez des économies.

Réaliser des économies d’énergie
Pensez «aux choses toutes simples, qu’on met en place au domicile à titre privé». conseille le Dr Alice Baras. Concernant l’électricité ; Éteignez les appareils en veille. Privilégiez l’éclairage LED, moins gourmand et plus durable. Installez des détecteurs de présence. Privilégiez la lumière naturelle (de même que la ventilation naturelle). Envisagez de prendre un prestataire d’électricité écoresponsable », avise la formatrice. Pour le chauffage, veillez à ce qu’il ne dépasse pas 21°c, rappelle l’AOF dans sa websérie Tooth responsables [3], car , un degré supplémentaire, c’est 7 % d’énergie consommée en plus. Coupez le chauffage et la climatisation quand les fenêtres sont ouvertes. Toutes ces actions sont également bonnes pour… le porte-monnaie.

Préserver les ressources en eau
L’eau que nous utilisons est potable, précieuse. La préserver. c’est l’éloigner de tout polluant : cela passe par les achats, par l’installation (obligatoire) d’un séparateur à amalgame, par une équipe attentive à ne pas y verser de produits nocifs. C’est réduire sa consommation. «Nous avons une consommation en eau moindre que dans l’industrie, mais supérieure à celle d’un foyer. Il faut donc y veiller». souligne le Dr Baras. Comment? En éduquant les patients à fermer le robinet d’eau pendant le brossage des dents, ou en installant des mitigeurs avec détecteurs. C’est le cas de Dominique Chave à son cabinet. Si. elle « ne l’a pas fait dans
l’optique de réduire la facture», l’impact est certain.

Dématérialiser l’administratif
L’informatique est un allié pour remédier au gâchis de papier. Numérisez les dossiers des patients. Si besoin, privilégiez le recyclé. Imprimez le moins possible, et en recto-verso. Demandez des factures électroniques. Préférez le mail pour joindre vos correspondants. «Au cabinet, nous sommes quasiment ou zéro papier, témoigne le Dr Dominique Chave. Les seules choses imprimées sont les consentements – mais je suis en train de voir si on ne va pas faire comme dans les banques où on signe sur tablette -, les devis, les demandes de Sécurité sociale», détaille-t-elle. Gain d’énergie, de place, diminution des déplacements … De quoi encore (notamment) alléger la facture. Mais si le numérique a de nombreux atouts, il a aussi un impact sur l’environnement. L’Agence de l’environnement et de la maitrise de l’énergie (Ademe) a publié un guide [4] pour le réduire.

Impliquer son équipe
Si votre équipe ne suit pas, ce sera un échec. Comment y remédier ? En premier lieu, expliquez à vos équipiers que si vous mettez en place cette démarche, « ce n’est pas pour leur casser les pieds ou tout changer pour le seul plaisir de tout changer, mais pour protéger leur santé», avise le Dr Ferrand. D’autant que vos assistantes sont potentiellement exposées, notamment aux perturbateurs endocriniens. L’équipe acceptera ainsi davantage la contrainte, et se montrera force de propositions. En second lieu, investissez dans la formation. Le SFCD ouvre à l’automne une formation (accessible aux praticiens et assistantes) pour palier le manque à ce sujet. «Nous donnerons une boite à outils que le praticien pourra adapter à son rythme », présente le Dr Alice Baras, très impliquée dans le projet.•

Intérêts de la démarche
Elle a du sens : votre équipe a la satisfaction d’exercer son métier en limitant ses impacts négatifs sur la santé des personnes et des
écosystèmes.  Conséquences : une meilleure qualité de vie au travail, moins d’arrêts, moins d’absentéisme, de turnover, plus de cohésion.
Elle a un impact sur l’image du cabinet. Vous montrez à vos patients que vous prenez le problème à bras le corps.
Résultat : le lien de confiance avec le patient est solidifié, le bouche-à-oreille fonctionne.
Elle permet des économies : des achats plus raisonnés, une gestion des stocks repensée, des économies en eau et en énergie réalisées … Votre facture est moins lourde.
Elle vous place en exemple à suivre. Non seulement vous pouvez entraîner dans votre sillage toute la filière. Mais vous pouvez aussi être un modèle pour les autres professionnels de santé.

1. Selon le baromètre ADF de 2014. 83 % des répondants veulent donner une orientation développement durable à leur activité: https://bit.ly/2R4DYKS
2. Voir notre dossier « La prévention, mission impossible ? » 11, n °9, octobre 2018.
3. https://www.youtube.com/watch?v=CjnpNI_NmVg
4. https://www.odeme.fr/face-cachee-numerique

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