Depuis presque vingt ans (décret du 5 novembre 2001), tout chirurgien-dentiste employeur d’au moins un salarié – ne serait-ce qu’un agent de nettoyage – est tenu de procéder à une évaluation systématique des risques professionnels, transcrite dans un « document unique » (1) .

Le DUER, c’est quoi ? 

« L’employeur transcrit et met à jour dans un document unique les résultats de l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs » (a. R4121-1 du code du travail). La formule est laconique. Ni la loi, ni le décret, ni même la circulaire ne prennent soin de définir plus expressément ce que l’on entend par ce « document unique ». Ce dernier est toutefois défini par sa finalité : le DUER est un inventaire exhaustif et hiérarchisé des risques auxquels peuvent être confrontés vos salariés. Sa rédaction est obligatoire. Pourtant, selon les dernières statistiques de la Dares (2) seulement 45 % des employeurs (total entreprises)
avaient élaboré ou récemment mis à jour un document unique d’évaluation des risques professionnels en 2016. Dans les entreprises de moins de dix salariés, ce chiffre tombe à 38 %… Cette proportion n’est pas de nature à étonner le Dr Phillipe Rocher, qui préside la commission des dispositifs médicaux de l’ADF : « Certains cabinets de groupe y font peut-être parfois plus attention, mais je ne pense pas qu’il existe des différences gigantesques entre les “gros” et les “petits”. Bien moins d’un cabinet sur deux dispose d’un document unique satisfaisant. C’est-à-dire réalisé en concertation avec le personnel et périodiquement remis à jour. »

Un outil dynamique

Dans un cabinet dentaire, le risque peut avoir de...

multiples origines : chimiques, radiologiques, posturales, psychosociales (voir encadré). Quels sont les moyens d’éviter les accidents d’exposition au sang (AES) et que faut-il faire en cas de survenue ? Quels sont les risques d’infections associés aux soins (IAS) et comment les diminuer ? C’est au praticien de répondre. Il en va de sa responsabilité. Pour être valide selon le Code du travail, le document unique doit obligatoirement être mis à jour au moins une fois par an, ainsi qu’après chaque modification substantielle des conditions de travail ou après tout accident. Veillez à dater chaque actualisation. Pour Sandrine Ferrand, intervenante en prévention des risques professionnels auprès de la Direccte Centre-Val de Loire, le DUER est un outil de prévention « qu’il faut faire vivre ». « Chaque incident, même mineur, doit conduire l’employeur à s’interroger sur ce qui s’est mal passé pour en tirer les enseignements… ». Il doit être le point d’amorce d’une réflexion sur les actions préventives à mettre en œuvre pour éviter les accidents du travail et limiter le développement des maladies professionnelles.

Une démarche en trois étapes

Le DUER est dit « unique » parce qu’il regroupe en un seul document trois sources d’identification des risques : une approche médicale, une approche technique et réglementaire, et une approche issue de l’analyse des conditions de travail. Les partenaires sociaux ont en effet mis en avant la nécessité d’intégrer la pluridisciplinarité à la démarche d’évaluation. Le document unique recense la nature des dangers encourus par les salariés, « a minima les familles de risques qui existent dans le cabinet doivent y figurer, ainsi que les situations concrètes dans lesquelles elles se rencontrent. Par exemple, lors de la manipulation de produits chimiques ou d’instruments électriques », explique Sandrine Ferrand. Une fois rédigé, on aboutit à un document d’environ cinq pages, en moyenne, dans lesquelles les différents types de risques sont subdivisés en ces trois approches. Ce deuxième temps est celui de l’évaluation de la gravité de leurs conséquences potentielles pour la santé : « C’est à l’employeur de choisir la signalétique de cotation, ce qui importe, c’est d’introduire une idée de gradation. Par exemple un code couleur, un ensemble de smileys, etc. « , poursuit-elle. Enfin, la probabilité de survenance de chaque incident doit être appréciée, et contrebalancée par un plan d’actions préventives pour empêcher leur réalisation. 

Bien choisir son modèle

Bien qu’il soit relativement simple à réaliser, la médecine du travail constate souvent que le DUER se recopie entre confrères, alors qu’il doit être spécifique à chaque cabinet. Aucune méthodologie n’a été donnée par le législateur, constate la formatrice, certaines petites structures peuvent vite se retrouver démunies… Il ne faut se fier qu’aux informations disponibles sur les sites institutionnels rattachés à l’Etat, par exemple celui de l’Anact, ou de l’INRS(3), qui sont reconnus par les Direccte(4) et peuvent donner des trames 􀀑, signale l’e􀀃perte en prévention. De nombreux modèles sont disponibles sur le web, mais leur qualité est très variable…  « Il faut bien comprendre que l’on trouve tout et n’importe quoi sur internet, alerte Phillipe Rocher. Il n’y a pas pire que d’avoir l’impression d’être protégé juridiquement par un document type de deux pages qui ne satisfait pas du tout la réglementation… En cas de problème, c’est comme s’il n’y avait rien ! ». Bonne nouvelle pour les chirurgiens􀀐dentistes, un guide pratique spécifiquement dédié à la profession existe, édité par l’ADF (voir encadré). Indispensable !

Un atout pour l’équipe

C’est peut-être étonnant, voire contre-intuitif, mais l’utilité du DUER peut très bien aller au􀀐delà de sa vocation préventive… « Dans de bonnes conditions, il peut même devenir un instrument pour manager plus efficacement son équipe », pointe le Dr Rocher, qui a coordonné l’écriture du dossier de l’ADF consacré à la prévention des risques. « L’élaboration et la mise à jour du document unique doivent être des moments d’échanges privilégiés avec le personnel. Ils permettent d’associer plus étroitement l’équipe à la bonne marche du cabinet », ajoute-t-il. Et consolident son adhésion au travailler-ensemble : « Fédérer autour de la notion du risque est particulièrement important en ces temps de crise sanitaire… », suggère quant à elle la formatrice en PRP Sandrine Ferrand… Comme souvent, la communication est la clé. La rédaction du DUER est une excellente occasion pour marquer votre considération. « Impliquer les salariés vis-à-vis de leur sécurité est toujours très bien ressenti », confirme Philippe Rocher. Invitez-les à être force de proposition pour optimiser les conditions de travail du cabinet ! Toute cette réflexion sur l’environnement idéal permettrait, en prime, de lutter contre certaines formes d’absentéisme. Des employés en perte de sens deviennent moins productifs, s’épuisent plus vite… la moindre baisse de moral, ils peuvent se laisser surmonter ! « On perd du temps, et de l’argent, donc on s’énerve. Cela entraîne des répercussions néfastes pour le cabinet. Au contraire, en faisant participer l’équipe à l’évaluation des risques et à l’élaboration des moyens de les prévenir, on crée un cercle vertueux qui les responsabilise », souligne le président de la commission des dispositifs médicaux.

Un enjeu économique

En 2018, 16 620 jours de travail ont été perdus dans les cabinets dentaires à cause d’accidents du travail, et 7 093 jours à cause d’arrêts consécutifs à des maladies professionnelles (stats CNAMTS). Comme le rappelle Sandrine Ferrand, « l’accident qui coûte le moins cher est celui qui n’arrive pas ! ». L’efficacité de votre plan de prévention est ainsi également un enjeu économique et financier. Aux coûts directs générés par ces événements par nature imprévus, s’ajoutent des coûts indirects (casse de matériel, temps perdu en formalités, désorganisation du cabinet…). Le risque est aussi juridique, car le praticien est responsable de la sécurité de ses salariés, y compris devant les tribunaux. Or, les sanctions en cas de manquement sont lourdes : jusqu’à 3 000 € d’amende en cas de récidive si le DUER n’a pas été réalisé ou n’a pas été mis à jour. « Certains praticiens ne se rendent pas compte de ce qu’ils risquent, alerte Phillipe Rocher. En cas d’accident, si le document unique manque, ou est mal conçu, ils peuvent être condamnés à de lourds dommages et intérêts, notamment pour faute inexcusable ». Pourquoi risquer « un Prud’homme » ou des sanctions pénales pour une banale conformité administrative, demandant un investissement si minime ? Peu importe le support, manuscrit ou numérique, il ne suffit pas que le DUER existe, il faut aussi recueillir la preuve que tous les salariés en ont eu connaissance et qu’ils en ont compris le contenu. Depuis décembre 2008, un affichage dans le cabinet doit permettre à vos employés de savoir comment y accéder, afin de prendre connaissance de la liste des risques auxquels ils peuvent être exposés. En cas d’inspection, n’importe quel salarié doit être en mesure de le communiquer à l’inspecteur du travail qui le demande… Dernière recommandation : ne détruisez pas les anciens documents uniques, archivez-les !

(1)   Pour en savoir plus, voir la brochure pratique « Évaluation des risques professionnels Questions-Réponses sur le document unique » de l’INRS, https://bit.ly/3bCP58J
(2)   Source : Enquête « Conditions de travail 2016 » de la Dares (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du travail), juin 2019.
(3)   Respectivement : Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, et Institut national de recherche et de sécurité. Ces organismes proposent des formations à coût réduit.
(4)   Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi.

Bon à savoir
Les CDF tiennent à jour sur leur site des tableaux de DUER adaptés au risque Covid-19, https://lescdf.fr/ressources-covid19

Dr Philippe Rocher
président de la commission des dispositifs médicaux de l’ADF, au deuxième jour du confinement, le 17 mars 2020.

Pandémie de covid-19 Vers une prise de conscience du risque en cabinet dentaire ?
Quand l’activité reprendra, faudra-t-il mettre à jour le DUER pour prendre en compte spécifiquement le SARS-CoV-2 ? Il faudra surtout ne pas se focaliser uniquement sur le seul SARS-CoV-2. Il faut voir plus large et vérifier la cohérence du plan de prévention des risques biologiques. Une fois l’épidémie terminée, il y aura toujours l’hépatite, le VIH, et tous les autres agents pathogènes avec lesquels nous vivons au quotidien… La spécificité de cette crise, c’est que les masques FFP2, adaptés pour protéger des contaminations par inhalation, sont passés sur le devant de la scène ! Cela aura au moins permis de sensibiliser sur le risque associé à notre fa􀀜on si particulière de travailler. Toute cette aérosolisation qui se rencontre dans les cabinets dentaires, ces phénomènes de micros-gouttelettes qui transportent virus et bactéries seront sans doute mieux connus. Nous pourrons peut-être bénéficier de nouvelles connaissances dont il faudra tirer des conséquences.

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