« Le dimanche soir, la veille de leur reprise, certains professionnels ont un nœud dans le ventre. Je n’ai jamais connu cette sensation. Ni en fin de week-end, ni le 1 er septembre. C’est un sentiment qui, je crois, est partagé par la plupart des orthodontistes, ce n’est pas toujours le cas pour les omnipraticiens. J’ai toujours pris du plaisir à travailler et j’ai conscience de ma chance. J’aime aussi beaucoup les vacances et j’ai de nombreuses passions. » Pour le Dr Jean-Stéphane Simon, orthodontiste est l’un des «plus beaux métiers au monde». Son rendement financier est correct – « Je ne connais pas un confrère en difficulté » – et son cadre libéral lui confère une indépendance totale, alors que « dans les grandes entreprises, même à des postes importants, on reste sous l’autorité d’un autre », pointe-t-il. À ces premiers arguments, notre praticien ajoute, « le métier n’est pas stressant. On ne fait pas mal aux patients. Ils sont volontaires, s’ils suivent leur traitement c’est qu’ils adhèrent à nos propositions de soins ». Bref, Jean-Stéphane est un praticien épanoui et au bonheur communicatif. Preuve en est, deux de ses enfants sont inscrits à la faculté d’odontologie de Marseille dans l’objectif de devenir orthodontiste.

Les rencontres
On souhaite souvent à ses enfants le meilleur. Professionnellement, le Dr Simon espère que les siens auront la chance de faire des rencontres décisives, « celles qui ouvrent des perspectives, montrent le chemin et invitent à la persévérance ». Lui a d’abord trouvé sur sa route le Pr André Salvadori, le responsable de l’orthodontie à la faculté de Marseille qui a marqué de son empreinte l’orthodontie interceptive. « Quand on a été formé par Salvadori on a appris à fabriquer des quad’helix et à poser des activateurs de classe II. Cela représente encore une grande partie...

de mon activité aujourd’hui », explique-t-il. En 1994, une conférence du Dr Alain Fontenelle lui fait découvrir l’orthodontie linguale… « Voilà ce que je veux faire », rapporte-t-il le soir même à son père. Autre moment important, sa rencontre avec le Dr Philippe Cannoni qui sera tour à tour son enseignant, son mentor, son associé et un de ses meilleurs amis. Enfin, au diplôme universitaire d’orthodontie linguale de Paris V, c’est la rencontre professionnelle de sa vie. « Le premier jour, en clinique, j’ai ouvert ma mallette. J’y avais entreposé tout ce que j’avais pu prendre à mon cabinet. Je connaissais bien les hôpitaux et je savais que j’allais manquer de tout. À ce moment-là, quelqu’un avec un français impeccable mais un fort accent Allemand m’a dit “vous avez l’air bien organisé, je peux rester à coté de vous ?. C’était Dirk Wiechmann. Il était là en consultant, je ne l’avais jamais vu. » À ses côtés, il aura le privilège de participer à la création des différents appareils. D’abord, le système Incognito – le Dr Simon est d’ailleurs le premier praticien à poser cet appareil en France en 2002. Puis, en 2012, le système Win. « Disons-le, Dirk Wiechmann est un génie, il vit pour l’orthodontie linguale et il en a révolutionné la pratique. Grâce à ses protocoles, la réussite des traitements n’est plus “praticien dépendante”. Les mécaniques de précision ne supportent pas l’approximation, à condition d’avoir été formé, Wiechmann a rendu l’orthodontie linguale accessible à tous les orthodontistes, à condition d’avoir été formés. » 


Priorité au lingual
Au cabinet, la totalité de ses patients adultes (âgés de plus de 16 ans) sont traités avec le système Win. Depuis son entrée au DU de Paris V, Jean-Stéphane ne pose plus d’appareils vestibulaires aux adultes. 100 % des enfants qui doivent être appareillés reçoivent la solution linguale parmi les propositions thérapeutiques. « Une partie sans cesse croissante des enfants accepte cette solution, les autres sont traités en vestibulaire. Ce positionnement a contribué à forger ma notoriété dans le domaine. On ne peut être efficace qu’avec un outil que l’on utilise quotidiennement. » Le premier acompte pour un traitement en orthodontie linguale (souvent autour de 2 000 €) constitue une barrière financière pour les patients et un frein à l’acceptation du devis.

Pour contourner cet obstacle, et après en avoir discuté avec des consœurs et confrères, le Dr Simon a décidé de complétement mensualiser le coût du traitement. Plus d’acompte important. Il semblerait que les praticiens qui ont élaboré cette stratégie en soient très contents. « J’explique mon approche thérapeutique et je présente moi-même le devis qui y est associé. La mensualisation est une pratique qui est familière aux patients dans beaucoup d’autres secteurs. Une fois que nous sommes d’accord, nous ne parlerons plus jamais d’argent, tout passera par mon secrétariat. »
Depuis 2012, Jean-Stéphane est l’un des formateurs et responsables du développement du système Win en France. C’est à travers l’estime qu’il porte au Dr Dirk Wiechmann que des liens avec la société Lingual Systems se sont créés. « Et pas l’inverse !, insiste-t-il. C’est parce que dans mes mains cette solution est la plus efficace que je suis associé avec elle. Rien ne m’y oblige, hormis ma volonté de faire évoluer l’orthodontie linguale en France, notamment à une période où les gouttières sont érigées comme une solution miracle par les spécialistes, mais aussi par les omnipraticiens. »


Un cabinet en évolution
Au fil des années, le Dr Simon pointe quatre innovations majeures qui ont modifié en profondeur son quotidien. Premièrement, les appareils sur mesure en orthodontie linguale. Il en bénéficie au quotidien. « C’était difficile avec les anciens systèmes de faire du lingual en professionnel, c’était plus un hobby pour certains praticiens, qui traitaient seulement une dizaine de patients par an en orthodontie linguale. Les systèmes sur mesure ont permis de recevoir chaque jour autant de patients qu’en technique vestibulaire. Les temps au fauteuil sont strictement similaires. » Deuxièmement, l’utilisation des mini-vis d’ancrage pour éliminer les forces extra-orales. « Dans les années 2000, j’ai suivi le premier cours à Paris du Pr HM Kyung. Pendant un moment, j’ai énormément utilisé les vis puis cela s’est calmé et, à présent, c’est un outil que je destine seulement à certains mouvements mécaniques. » Troisièmement, l’utilisation d’un système d’empreintes numériques 3Shape et de deux imprimantes 3D qui travaillent en permanence. « C’est un bon investissement, l’empreinte numérique permet de ne plus avoir de problèmes de stockage du plâtre, de communiquer les images au laboratoire via courriel et en plus cela plaît aux patients. Avec les imprimantes nous obtenons des modèles sur lesquels nous pouvons préparer les contentions et certains appareils d’interception. Si un patient perd une gouttière de contention nous pouvons toujours imprimer le modèle de fin de traitement, même longtemps après la fin de celui-ci ». L’évolution la plus récente dans le cabinet est l’inscription sur un site de rendez-vous en ligne.

Classe II très importante pour une adolescente de 13 ans équipée avec un appareil lingual

La maquette sur laquelle l’appareil a été fabriqué.

Élastiques et appareils linguaux font bon ménage.


Préserver la profession
Si Jean-Stéphane Simon souhaite la simplicité pour ceux qu’ils soignent, il s’impose à lui-même de ne pas aller vers la facilité. « Pour le dire clairement, je suis loin d’être un adepte des gouttières même si cela réduit énormément le travail au fauteuil et répond à une demande des patients ». Dans son argumentation, le praticien distingue le plan médical et celui de la sauvegarde de la profession. « Sur le plan de l’efficacité, je crois davantage aux traitements fixes qu’amovibles, c’est mon point de vue, je peux l’argumenter mais je respecte mes confrères qui disent l’inverse. » Sur le plan de la défense de la spécialité, notre praticien est plus engagé. Il considère que les orthodontistes qui proposent des traitements avec gouttières exposent la profession à un problème très simple : la nécessité ou pas de garder des spécialistes. « Aujourd’hui, la plupart des chirurgiens-dentistes proposent des gouttières, alors que la majorité d’entre eux ne collaient pas d’attaches, souligne-t-il. Je crains que l’étape suivante soit la vente directe du fabricant au patient. Quand cela arrivera en France, il sera trop tard pour se plaindre… Ce jour-là être capable de proposer une autre orthodontie comme le lingual sera sûrement une grande chance. Ceux qui seront déjà des utilisateurs réguliers auront un avantage certain. Ce qui me réconforte c’est que les jeunes l’ont compris. La majorité des internes en orthodontie suivent nos formations et quand ils ont eu la possibilité de traiter des patients en lingual à l’hôpital, ils proposent systématiquement cet outil lorsqu’ils ont leur propre cabinet. »


Un cabinet médical
En matière d’agencement, quand il a créé sa structure en 1995, le Dr Simon avait suivi « la mode de l’époque » en optant pour cinq fauteuils alignés dans une grande salle et une décoration Blanche-Neige et les Sept Nains. « Il m’a fallu dix ans pour comprendre que cette disposition ne me correspondait pas ! Je suis donc passé par la suite d’un modèle importé des États-Unis à un environnement plus cloisonné, plus neutre aussi. En réalité, même les enfants de 12 ans n’ont pas envie de croiser leurs copains allongés sur le fauteuil d’à côté… » Jean-Stéphane conseille aux jeunes diplômés de visiter – voire de travailler dans plusieurs cabinets avant de monter leur structure. C’est, selon lui, la meilleure méthode pour parvenir à se projeter dans son futur quotidien. « De temps en temps, il faut également se positionner sur le fauteuil et dans la salle d’attente à la place des patients, et redécouvrir son cabinet sous cet angle, estime notre orthodontiste. Les adultes apprécient la confidentialité, les plus jeunes sont rarement admiratifs devant une décoration trop enfantine. Entre 10 et 14 ans les goûts évoluent. Finalement, l’environnement médical est celui qui marche le mieux. Teintes sobres, décoration sobre. » Par ailleurs, le Dr Simon tient à conserver un statut de personnel soignant. Il est adepte des relations détendues mais en gardant l’autorité que lui confère sa position, « les enfants doivent écouter le praticien, les adultes respecter son expertise ».


Un travail d’équipe
Aujourd’hui, le cabinet de 180 m² est divisé en quatre salles de travail. Deux sont réservées aux soins, une aux consultations, et la dernière est dédiée aux empreintes numériques et aux radiographies. Toute la journée, Jean-Stéphane navigue entre ces différents espaces. Ses assistantes le précédent souvent par anticipation, « avec de l’expérience et des aides bien formées, le temps au fauteuil est considérablement réduit ». La machine est bien rodée. Preuve du bien-être du personnel, leur longévité dans l’entreprise. À titre d’exemple, Caroline, la secrétaire y travaille depuis l’ouverture, il y a 25 ans. Deux autres assistantes l’accompagnent, Margaux au fauteuil, et Léa qui possède en plus un diplôme de prothésiste – « elle réalise et répare certains appareils au cabinet, c’est très pratique notamment pour gagner en réactivité. Un cabinet ne peut pas se reposer sur une seule personne, il est le résultat d’un travail d’équipe », insiste le Dr Simon.

Nous voilà revenus au point de départ. Le praticien sait apprécier sa notoriété et sa réputation dans le domaine de l’orthodontie linguale, mais il n’oublie pas que la carrière d’un orthodontiste se construit au fil des années et des rencontres – « Seul on n’est pas grand-chose », pointe-t-il. Il accompagne ses enfants sur la voie de l’excellence et espère qu’ils trouveront dans le métier, comme lui depuis un quart de siècle, le même épanouissement. Il conclut : « Je ne sais pas quoi conseiller à mes enfants mais je sais ce que je leur déconseille : faire pareil que moi. Il n’y a pas un seul métier où ce qui était vrai le reste. L’avenir passera sans doute vers d’autres formes de structures, d’autres formes d’exercice, mais je pense que cela reste une profession d’avenir. »

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